Réduire la fracture numérique 13 novembre 2025

Renforcer la résilience des infrastructures Internet sous‑marines 

Une fiche d’orientation de l’Internet Society sur les politiques publiques

Synthèse

À mesure que la dépendance aux services numériques s’intensifie, la résilience et la sécurité des systèmes de câbles sous-marins sont de plus en plus surveillées, surtout après les récentes pannes survenues en Afrique, à Tonga et en Asie du Sud. Même si les tensions géopolitiques et les menaces hostiles font souvent la une, la plupart des coupures de câbles, soit environ 200 par an[1], sont dues à des causes naturelles ou à des erreurs humaines.

Ce document s’inspire des données en temps réel de la plateforme Pulse de l’Internet Society et du Plan d’action 2025 de l’Union européenne sur la sécurité des câbles sous-marins afin de mettre en lumière les risques actuels, les bonnes pratiques émergentes et les outils permettant d’améliorer la résilience. À partir d’exemples au Bangladesh, dans les îles du Pacifique et en Europe, il montre comment la coopération régionale et la transparence peuvent contribuer à rendre les infrastructures sous-marines solides, redondantes et accessibles.

Cette analyse adopte une approche optimiste et tournée vers l’avenir pour renforcer la résilience d’Internet grâce à des solutions concrètes et politiques. Les recommandations insistent sur l’amélioration de la cartographie, la diversification des liaisons réseau et la coopération entre le public et le privé pour protéger des infrastructures qu’il devient impossible d’ignorer.

Introduction

Sous les vagues, un réseau invisible relie le monde : les câbles sous-marins. Les entreprises privées individuelles et des consortiums d’entreprises possèdent et exploitent un réseau de plus de 500 câbles sous-marins à fibre optique commerciaux – 570 à partir de 2025, avec 81 autres prévus[2] – qui acheminent de 97 à 98 %[3] du trafic Internet intercontinental mondial, constituant le socle des communications, de la finance, de l’éducation et de la sécurité dans le monde entier. Et pourtant, malgré leur importance, les câbles sous-marins attirent rarement l’attention du public, sauf en cas de panne. Lorsqu’elles surviennent, certaines coupures dépassent le simple désagrément et peuvent temporairement affecter l’économie ainsi que l’accès à l’information.

Description: Carte du monde présentant les principaux câbles sous-marins. Source : TeleGeography.

Source : TeleGeography https://www.submarinecablemap.com/ sous licence du Creative Commons License: Attribution-ShareAlike 4.0 International (CC BY-SA 4.0)

Par leur nature, les infrastructures sous-marines sont à la fois essentielles et vulnérables. L’éloignement des câbles, leur exposition aux éléments naturels et le recours à un nombre limité de points de connexion à terre présentent des risques inhérents. Cependant, être vulnérable ne veut pas dire être sans défense. Partout dans le monde, les décideurs et les opérateurs de réseaux commencent à traiter les infrastructures sous-marines avec l’urgence qu’elles méritent. Cette fiche d’orientation examine l’importance de ces câbles, analyse les réponses mondiales aux pannes récentes et propose des actions concrètes pour protéger la connectivité dans un monde de plus en plus numérique. Le concept clé de cette fiche d’orientation est la résilience, qui ne consiste pas à éviter l’échec, mais à s’y préparer.

L’Internet Society reconnaît le travail du Comité international pour la protection des câbles (International Cable Protection Committee[4] – ICPC), créé en 1958. Aux côtés de l’Organe consultatif international pour la résilience des câbles sous-marins[5], créé par l’Union internationale des télécommunications (UIT) en 2024, ils constituent des organisations mondiales clés qui contribuent à identifier des moyens et des approches potentiels pour renforcer la résilience de cette infrastructure essentielle au bon fonctionnement des communications mondiales et de l’économie numérique.

L’épine dorsale des infrastructures à laquelle peu de gens pensent

Bien qu’ils attirent beaucoup plus l’attention de la presse grand public, les satellites ne jouent qu’un rôle mineur dans l’accès mondial à Internet. Les câbles sous-marins restent le principal canal de transmission internationale de données à haute capacité et à faible latence. Ces câbles, souvent aussi fins qu’un tuyau d’arrosage, s’entrelacent sur les fonds océaniques pour relier les continents et les pays. Ils sont d’une efficacité et d’une rentabilité inégalées.

Pourtant, parce qu’ils sont invisibles, ils sont souvent négligés. En mars 2024, plusieurs coupures de câbles au large de la côte ouest-africaine ont provoqué d’importantes perturbations des services en Côte d’Ivoire, au Libéria, au Ghana et dans d’autres pays. Comme le montre en temps réel la plateforme Pulse de l’Internet Society, la latence, c’est-à-dire le temps nécessaire aux données pour circuler entre l’émetteur et le récepteur, a fortement augmenté, tandis que la disponibilité des services a chuté dans toute la région[6]. La panne a révélé une vérité cruelle : en l’absence de diversité de câbles et d’infrastructures terrestres de soutien, un seul incident sur un câble sous‑marin peut priver des millions de personnes d’un accès fiable.

Description: Graphique présentant les raisons des coupures de câbles. Source : TeleGeography.

Origines des pannes de câbles sous-marins (%). Source : TeleGeography

Un autre facteur important est la disponibilité des navires et des équipes pour réparer les câbles endommagés. Les délais d’intervention peuvent être importants, en raison de la planification logistique des navires ainsi que de la distance à parcourir[7]. La mise en place de flottes régionales dédiées, permettant une intervention rapide, est essentielle pour réduire les impacts liés aux câbles endommagés. 

Leçon de résilience : le cas du Bangladesh

Mais il y a aussi des histoires encourageantes. Le Bangladesh, touché par une panne de câble sous‑marin en 2023, a pu maintenir ses services Internet en réacheminant le trafic via des liaisons terrestres avec l’Inde et en s’appuyant sur du contenu mis en cache localement.[8] Cette expérience montre que la résilience[9] ne consiste pas à éviter les pannes, mais à s’y préparer.

La capacité du Bangladesh à surmonter la crise n’était pas le fruit du hasard. Ses investissements dans l’interconnexion régionale, la distribution de contenu et la redondance ont été payants. En revanche, les pays disposant d’un hébergement domestique limité et sans connexions terrestres de repli se sont retrouvés en grande difficulté.

L’analyse[10] de la plateforme Pulse de l’Internet Society souligne que les pays présentant une plus grande diversité d’infrastructures (évaluée à travers des indicateurs tels que la diversité des fournisseurs de transit et le nombre de points d’échange Internet (IXP)) subissent généralement des impacts moins graves et bénéficient d’une reprise plus rapide lors des pannes de câbles sous‑marins. Comme le montre le cas de l’Afrique de l’Ouest, les pays disposant de plusieurs fournisseurs de transit ont connu des perturbations moins importantes.

D’autres alternatives pouvant servir de système de secours hybride en cas de panne sont les communications par satellite et les unités de communication portables[11], capables d’assurer une connectivité rapide en attendant la réparation de l’infrastructure sous-marine.

L’Europe prend note : le Plan d’action de l’UE 2025

Les gouvernements reconnaissent de plus en plus l’importance des infrastructures sous‑marines, non seulement du point de vue de la sécurité, mais aussi en matière de résilience. La communication conjointe de l’Union européenne de 2025 sur la sécurité des câbles[12] présente une réponse globale. Contrairement aux mesures réactives adoptées dans certaines régions, l’UE a choisi une approche préventive et transversale, mettant l’accent sur la coordination transfrontalière, une meilleure surveillance, ainsi que la nécessité de prendre en compte à la fois les risques géopolitiques et les dangers quotidiens, tels que l’activité sismique ou les accidents liés à la pêche.

Ce qui caractérise le plan de l’UE, c’est son approche double qui reconnaît les menaces potentielles tout en soulignant la nécessité d’un développement responsable des infrastructures. Il incite les États membres et les opérateurs privés à cartographier les infrastructures de manière plus transparente, à renforcer la coordination opérationnelle et à investir dans des partenariats public-privé. La reconnaissance des câbles sous‑marins comme infrastructure essentielle constitue une avancée importante dans l’élaboration des politiques de résilience.

Passer de la réaction à la prévention

Trop souvent, la politique en matière d’infrastructures Internet réagit aux pannes plutôt que de les prévenir. Mais la donne est en train de changer. Partout dans le monde, émergent des initiatives qui combinent prévoyance technique et renforcement des capacités locales. Dans le Pacifique, des centres régionaux sont en cours de développement[13] pour héberger le contenu plus près des utilisateurs, réduisant ainsi la dépendance aux câbles lointains. Dans les pays enclavés comme la Zambie, des investissements ciblés dans les points d’échange Internet (IXP) locaux et des partenariats avec les pays voisins permettent de réduire la fracture numérique[14].

Une innovation cruciale permettant ce changement est le développement de normes communes pour la description des déploiements d’infrastructures en fibre optique et des règles relatives au partage d’informations. L’Open Fibre Data Standard[15] (OFDS) en est un excellent exemple pour ce qui concerne les réseaux de fibre optique terrestres. Soutenu par l’Internet Society, l’OFDS établit un langage commun et favorise la transparence autour des déploiements d’infrastructures en fibre optique. Cela permet une planification plus éclairée, des interventions plus rapides en cas de panne et une gestion plus efficace des ressources. Un besoin comparable se fait sentir pour des normes de transparence et un langage descriptif concernant les câbles sous‑marins en fibre optique.

L’Open Fibre Data Standard (OFDS) a été développé en collaboration avec la Banque mondiale, l’Union internationale des télécommunications, Mozilla Corporation, Liquid Intelligent Technologies, CSquared et Digital Council Africa. 

Premièrement, investir dans la diversité des infrastructures. Compter sur un seul itinéraire, en particulier un unique câble sous‑marin, est une invitation aux perturbations. Qu’il s’agisse d’itinéraires sous‑marins supplémentaires ou de liaisons terrestres, les réseaux nationaux doivent prévoir des solutions redondantes.

Deuxièmement, promouvoir l’ouverture et la transparence. Les normes ouvertes comme l’OFDS permettent à tous les acteurs (gouvernements, fournisseurs d’accès à Internet et société civile) de prendre des décisions plus éclairées. Elles évitent les redondances, signalent les risques et renforcent la responsabilisation.

Renforcer la résilience : lignes directrices pour l’avenir

La résilience n’est pas un état final, mais un processus permanent. Elle implique non seulement des câbles et des routeurs, mais aussi des stratégies et des partenariats. Sur la base des données mondiales et des analyses de la plateforme Pulse[16] de l’Internet Society, les principes suivants sont essentiels :

Premièrement, investir dans la diversité des infrastructures. Compter sur un seul itinéraire, en particulier un unique câble sous‑marin, est une invitation aux perturbations. Qu’il s’agisse d’itinéraires sous‑marins supplémentaires ou de liaisons terrestres, les réseaux nationaux doivent prévoir des solutions redondantes.

Deuxièmement, promouvoir l’ouverture et la transparence. Les normes ouvertes comme l’OFDS permettent à tous les acteurs (gouvernements, fournisseurs d’accès à Internet et société civile) de prendre des décisions plus éclairées. Elles évitent les redondances, signalent les risques et renforcent la responsabilisation.

Troisièmement, décentraliser les infrastructures Internet. L’hébergement local du contenu et le déploiement de serveurs de cache permettent de réduire la latence, de conserver le trafic à l’intérieur du pays et de limiter la dépendance aux connexions internationales vulnérables.

Quatrièmement, encourager la collaboration régionale. Comme l’a souligné la conférence[17] SubOptic de Lisbonne, la résilience ne peut pas se construire de manière isolée. Les gouvernements et les opérateurs de réseaux doivent collaborer au‑delà des frontières pour partager des informations, instaurer la confiance et coordonner leurs réponses.

Enfin, définir la résilience d’Internet comme un objectif de politique nationale. Cela implique de suivre les performances, de définir des objectifs et d’ajuster les stratégies en temps réel. Les outils de mesure Pulse de l’Internet Society offrent une base solide, mais l’engagement doit venir des décideurs politiques.

L’infrastructure en fibre optique devient un pilier essentiel du trafic Internet à travers le monde. Comprendre les interactions et les interconnexions de ces réseaux en fibre optique est essentiel pour se faire une vision plus complète de la résilience d’Internet.

Conclusion : vers un avenir numérique plus résilient

Les câbles sous‑marins peuvent être vulnérables, mais ils ne sont pas indéfendables. La majorité des ruptures ne sont pas dues à l’espionnage ou au sabotage, mais à des accidents, des catastrophes naturelles ou du matériel vieillissant. Même si ces risques ne peuvent être supprimés, il est possible d’en atténuer les conséquences.

Des outils sont disponibles : normes ouvertes, investissements judicieux dans les infrastructures et politiques éclairées. Il faut une démarche coordonnée. La résilience ne consiste pas seulement à survivre à la prochaine panne : il s’agit de construire un écosystème numérique capable de s’adapter, de se rétablir et de prospérer.

Il est temps d’agir, et c’est maintenant. Avec l’accélération de l’usage d’Internet et la montée des incertitudes géopolitiques, il est crucial de développer des infrastructures sous‑marines résilientes, transparentes et diversifiées, non seulement pour des raisons techniques, mais aussi comme impératif stratégique pour la stabilité mondiale et la prospérité économique.


Notes de fin

[1] Is It Sabotage? Unraveling the Mystery of Undersea Cable Breaks, TeleGeography, février 2025 – https://blog.telegeography.com/is-it-sabotage-unraveling-the-mystery-of-undersea-cable-breaks  Unraveling the Mystery of Undersea Cable Breaks, TeleGeography, Feb 20

[2] How Many Submarine Cables Are There, Anyway? TeleGeography, février 2025 –
https://blog.telegeography.com/how-many-submarine-cables-are-there-anyway

[3] Subsea telecommunication cables are essential for Europe’s digital connectivity, novembre 2024 https://digital-strategy.ec.europa.eu/en/library/subsea-telecommunication-cables-are-essential-europes-digital-connectivity

[4] Comité international pour la protection des câbles https://www.iscpc.org/

[5] Organe consultatif international pour la résilience des câbles sous-marins https://www.itu.int/digital-resilience/submarine-cables/advisory-body/

[6] Rapport 2024 sur la rupture d’un câble sous-marin en Afrique de l’Est, juillet 2024, https://www.internetsociety.org/fr/resources/doc/2024/rapport-2024-sur-la-rupture-dun-cable-sous-marin-en-afrique-de-lest/

[7] Strengthening Taiwan’s Critical Digital Lifeline, Charles Mok et Kenny Huang, août 2024, https://fsi.stanford.edu/publication/strengthening-taiwans-critical-digital-lifeline

[8] Le Bangladesh fait face à la panne du câble sous-marin grâce aux câbles terrestres indiens et aux caches de contenu local, avril 2024, https://pulse.internetsociety.org/fr/blog/bangladesh-coping-with-submarine-cable-outage-thanks-to-indian-terrestrial-cables-local-content-caches

[9] Pour en savoir plus sur la résilience, veuillez visiter https://pulse.internetsociety.org/fr/resilience/ 

[10] Ne mettez pas toute votre infrastructure Internet dans le même panier, octobre 2023, https://pulse.internetsociety.org/fr/blog/dont-put-all-your-internet-infrastructure-in-one-basket

[11] Une nouvelle technologie pour aider les communautés à rester connectées après une catastrophe, Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud, septembre 2024, https://www.nsw.gov.au/media-releases/new-technology-to-help-communities-stay-connected-following-disasters

[12] Plan d’action de l’UE sur la sécurité des câbles, février 2025, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:52025JC0009

[13] Le centre de connectivité du Pacifique. Capitale régionale du contenu ? – décembre 2024, https://pulse.internetsociety.org/fr/blog/pacifics-connectivity-hub-regions-content-capital

[14] Comment la Zambie accélère sa résilience Internet, septembre 2024, https://pulse.internetsociety.org/fr/blog/how-does-zambia-accelerate-its-internet-resilience

[15] The Open Fibre Data Standard, avril 2025, https://www.internetsociety.org/blog/2025/04/the-open-fibre-data-standard/

[16] Plateforme Pulse de l’Internet Society: https://pulse.internetsociety.org/fr

[17] Les enseignements de Lisbon SubOptic 2025, juillet 2025, https://pulse.internetsociety.org/fr/blog/takeaways-from-lisbon-suboptic-2025

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