Politique publique 30 octobre 2015

Fiche sur les politiques publiques: L’Internet et les droits de l’Homme

Les politiques gouvernementales, les décisions des entreprises et les choix de développement techniques liés à l’Internet influencent la mesure dans laquelle l’Internet soutient ou défie les droits de l’Homme fondamentaux. Promouvoir une expérience en ligne marquée par la confiance, les principes d’un Internet ouvert et le dialogue entre les parties prenantes sont des moyens essentiels afin de promouvoir le rôle de l’Internet en tant que plateforme pour le respect des droits de l’Homme.

Introduction

L’Internet est un puissant facilitateur des droits de l’Homme. En tant que moyen de communication, les libertés favorisées par l’Internet pour exprimer des idées, se connecter et s’associer aux autres, et exercer notre créativité et notre innovation humaines sont sans précédent. Ces libertés sont des éléments essentiels de l’autonomie et de la dignité personnelles ainsi que des droits de l’Homme élémentaires.

L’accès à l’Internet s’étend régulièrement dans le monde entier et il s’insinue dans chacun des aspects de notre vie. Pour plus de trois milliards de personnes qui ont l’accès en ligne, l’Internet a un impact direct sur leur capacité à accéder aux nouvelles et à l’information, au discours politique, à la religion et la culture, aux marchés et au commerce, et aux bibliothèques de la connaissance. Il est important de soutenir et de développer cet accès avec un nombre croissant d’utilisateurs se connectent à l’Internet tous les jours, et de le faire d’une manière qui soutienne les droits de l’Homme.

Dans ce contexte, et alors que les nations embrassent les bénéfices qu’un accès et des communications en ligne libres et ouvertes peuvent apporter à leurs citoyens, il leur faut encore protéger ces citoyens des menaces et des activités illégales qui se produisent en ligne. Ce n’est pas une tâche aisée. De par la nature même de l’Internet, il existe des interdépendances complexes qui doivent être évaluées pour parvenir à préserver les droits de l’Homme élémentaires tout en adressant les préoccupations légitimes d’intérêt public.

L’Internet Society pense que la confiance et le respect des libertés individuelles, que ce soit hors ligne ou en ligne, sont des éléments essentiels pour réaliser le développement humain, économique et social. En fin de compte, il dépend de nous tous, gouvernements, organisations commerciales et civiles, et citoyens, de nous assurer que l’Internet matérialise cette vision.

Considérations clés

Une architecture qui soutient l’expression sans frontières

Bien que les architectes originaux de l’Internet n’aient pas sciemment conçu l’Internet comme un outil pour aider promouvoir les droits de l’Homme, les principes incorporés dès sa conception représentent la vision d’une communication sans frontières d’un bout du réseau à l’autre. On peut presque interpréter l’Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations Unies (la liberté de partager, recevoir et transmettre des informations et des idées par delà les frontières) comme une définition de l’Internet, même s’il a été écrit un quart de siècle avant l’invention du protocole de l’Internet.

Les principes clés qui soutiennent l’architecture de l’Internet doivent être préservés pour que l’Internet continue à soutenir les libertés en ligne. Par exemple, la nature décentralisée, de bout en bout du réseau donne une voix à ceux qui en sont aux extrémités. Cela signifie que les utilisateurs finaux, ceux qui se trouvent aux limites du réseau, disséminés dans un réseau global de réseaux, peuvent partager des informations et des idées par-delà les frontières sans autorité centrale au niveau architectural. Dans la pratique, il existe cependant des gouvernements et des intermédiaires de l’Internet (tels que les fournisseurs d’accès Internet et les plateformes de média sociaux) qui peuvent intervenir et implémenter des limites à la circulation de l’information. Ces parties implémentent parfois des restrictions ou des mesures de contrôle du contenu sur certains flux de données transfrontaliers.

La technologie joue aussi un rôle pour faciliter l’avancement des droits de l’Homme. En se basant sur les initiatives de normes ouvertes de l’Internet, [1] des individus et des organisations dans le monde entier ont continuellement développé de nouvelles technologies et applications qui permettent l’exercice des libertés fondamentales, comme l’accès à l’information et son partage (par ex. l’e-mail, la Voix sur IP (VoIP), le dialogue en ligne instantané, la vidéo, les blogs), la liberté d’association pacifique (par ex. les réseaux sociaux, les forums), et l’accès à la connaissance et au contenu culturel (par ex. Wikipédia).

Trouver un nouvel équilibre pour les droits en ligne

Chaque nouvelle technologie de communication exige que l’on repense l’équilibre délicat entre les droits fondamentaux et les besoins des Etats dans l’atteinte des objectifs des politiques publiques. Les caractéristiques uniques de l’Internet ont étendu les capacités et les moyens de parler, créer, innover et de s’associer, avec pour résultat une nouvelle dynamique entre la liberté d’expression, la confidentialité et la sécurité.

Alors qu’il est généralement admis que les droits individuels peuvent, dans des circonstances appropriées, céder le pas à des questions d’intérêt public (par ex. mise en application de la loi, sécurité publique, sureté), d’autres facteurs doivent être respectés. La nécessité, la légitimité, la proportionnalité et l’impartialité d’une situation doivent être déterminées avant qu’une protection de niveau inférieure ne soit justifiée. Le déni des droits individuels des utilisateurs ne peut pas être justifié par des revendications vagues et non spécifiques de sécurité nationale ou par un usage sans fondement des forces de police pour la sécurité prétendue des gens.

Un exemple actuel se trouve dans les discussions visant à restreindre ou à affaiblir les technologies de chiffrage parce qu’elles pourraient être utilisées pour se livrer à des activités nuisibles. Au-delà de la question de savoir si de telles approches seraient vraiment efficaces, ces propositions donnent lieu à des préoccupations spécifiques, telles que : est-ce que les bénéfices de porter atteinte au chiffrage pour tous les utilisateurs d’Internet sont supérieurs aux risques causés par une telle approche ? Nous pensons qu’affaiblir les communications sécurisées pourraient mener à des effets négatifs en termes de transactions financières, e-commerce et de discours anonyme dans des contextes difficiles. En fin de compte, ces mesures pourraient porter atteinte à la confiance que les Internautes ont dans le réseau. Les potentiels effets paralysants doivent être considérés lorsque des mesures de politiques publiques sont proposées ou implémentées.

L’Internet Society pense que la sécurité ne doit pas être recherchée aux dépends des droits individuels. Dans un contexte où de plus en plus de voix se font entendre pour surmonter la notion d’un nécessaire compromis entre la sécurité et les libertés en ligne (en d’autres termes, que plus de l’un signifie moins de l’autre), nous devons considérer des moyens par lesquels nous pouvons atteindre les objectifs sécuritaires sans risques disproportionnés pour l’expression ou la confidentialité en ligne. Les principes qui sous-tendent cette vision sont inclus dans notre approche de la Sécurité collaborative.[2]

Défis

Les décideurs politiques, législateurs et autorités de règlementation du monde entier veulent combattre les activités en ligne illégales comme la pornographie pédophile, le terrorisme, les infractions à la propriété intellectuelle et autres. L’Internet Society convient que ce sont là des problèmes critiques qu’il faut combattre, mais nous pensons aussi que les solutions proposées ne doivent pas saper l’architecture globale de l’Internet, ni réduire les droits de l’Homme reconnus internationalement.

Malheureusement, les libertés sur Internet ont été très fragiles dans le monde. Selon le rapport Liberté sur le Net 2015 par Freedom House,[3] un nombre croissant de pays utilise des technologies de surveillance en ligne et des pratiques de censure qui sont plus agressives et plus sophistiquées dans leur ciblage d’utilisateurs individuels.

Certains des défis clés à l’intersection de l’Internet et des droits de l’Homme comprennent :

Le filtrage et le blocage de contenu. Ces dernières années, des pays démocratiques autant que totalitaires ont promulgué des lois donnant aux agences gouvernementales le pouvoir de punir la dissidence en ligne ou de bloquer l’accès à du contenu ou des services en ligne, sous des prétextes de sécurité nationale. Par exemple, les politiques et règlements qui nécessitent l’interruption de l’infrastructure du système des noms de domaines (DNS), soit en filtrant les résultats, soit par la saisie de noms de domaines, ont de graves déficiences. En général, ces techniques ne résolvent pas le problème, elles constituent un obstacle aux flux de données et aux services transfrontaliers, et elles sapent l’Internet en tant que réseau de communication unique, unifié et global. Le filtrage et la saisie de DNS soulèvent des inquiétudes par rapport aux droits de l’Homme et à la liberté d’expression et diminuent souvent les principes internationaux de la souveraineté du droit et du traitement équitable. Ces impacts négatifs dépassent largement tout bénéfice légal et commercial à court terme.

Nous encourageons la collaboration technique et politique pour identifier des solutions basées sur la coopération internationale qui ne portent pas atteinte à la stabilité globale et à l’interopérabilité de l’Internet et qui respectent tous les droits de l’Homme.

La restriction ou l’affaiblissement des technologies de chiffrage. Un des moyens clés par lesquels les personnes peuvent protéger leurs données, que ce soit dans le cloud, sur un disque dur ou en transit, est l’utilisation d’une technologie de chiffrage. Le chiffrage est le procédé qui consiste à coder les messages de sorte que seules les personnes autorisées à les voir puissent le faire.

Malgré le rôle puissant du chiffrage pour protéger notre confidentialité et notre expression, de nombreux gouvernements, y compris dans des pays qui soutiennent fermement un Internet ouvert, ont fait des déclarations publiques sur la nécessité de restreindre l’utilisation du chiffrage pour que les personnes engagées dans des activités illégales ne puissent pas se cacher des forces de l’ordre. D’autres propositions font état de gouvernements ayant un accès spécial au chiffrage dans le but de surveiller n’importe qui n’importe où à leur discrétion dans le contexte de leurs objectifs de sécurité. Bien qu’il soit admis que les gouvernements aient un intérêt à la prévention du crime, de telles approches seraient probablement inefficaces. Il est probable qu’elles réduiraient aussi la confiance en l’Internet pour le plus grand nombre des utilisateurs.

L’Internet Society est un fervent défenseur de l’anonymat et du chiffrage général de bout en bout.[4] Nous pensons que les personnes doivent avoir la possibilité de communiquer confidentiellement et anonymement sur l’Internet. Nous réalisons que cette aspiration s’accompagne d’une série de difficultés techniques, économiques et de questions de politiques, et que le dialogue doit continuer entre les parties prenantes pour trouver des solutions appropriées à ces problèmes.

La responsabilité imposée aux intermédiaires de l’Internet. Les intermédiaires de l’Internet, les services qui assurent la médiation des communications en ligne et permettent diverses formes d’expression en ligne tels que les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et les fournisseurs d’accès à Internet, ont été soumis de la part des Etats à un nombre croissant de demandes et d’injonctions de retirer du contenu de leurs plateformes. Les intermédiaires de l’Internet travaillent souvent dans diverses juridictions et les gouvernements s’attendent à ce qu’ils se conforment aux lois nationales qui, de leur côté, s’alignent plus ou moins aux normes internationales des droits de l’Homme. Il y a beaucoup de cas dans lesquels un discours peut être considéré comme acceptable selon certaines législations nationales, et inacceptable selon d’autres. Gérer ces différences au niveau global n’est pas une tâche facile et exige la coopération et le dialogue.

Les politiques qui gouvernent la responsabilité légale des intermédiaires pour le contenu de telles communications ont un impact sur les droits des utilisateurs, dont la liberté d’expression, la liberté d’association et le droit à la confidentialité. Les gouvernements doivent s’assurer que les régimes de responsabilité permettent aux sociétés de respecter les droits de leurs utilisateurs. Les principes tels que la transparence, la proportionnalité, le traitement équitable et la responsabilité doivent sous-tendre toutes les politiques relatives à de telles demandes portant sur le contenu.

Principes directeurs

Les principes directeurs qui suivent sont à considérer :

Droits fondamentaux. L’Internet est un outil pour l’opportunité, la créativité, la connaissance et la liberté. Il s’est construit sur ces principes et sa réussite future en dépend. Les droits fondamentaux sous-tendent ces principes ainsi que la vision selon laquelle Internet est fait pour tout le monde. Les droits dont jouissent les personnes hors ligne s’appliquent en ligne.

Connectivité ouverte. Être connecté ne garantit pas que l’on puisse innover ou partager librement des informations et des idées. Ces capacités exigent un environnement Internet qui soutienne les utilisateurs, qui se base sur l’ouverture et qui n’ait pas de restriction excessive sur les activités en ligne.

Internet digne de confiance. Il est difficile de participer pleinement au monde d’aujourd’hui sans un Internet ouvert, disponible et digne de confiance. Ceci est destiné à devenir encore plus prononcé à mesure que l’Internet se place de plus en plus au centre de notre façon de travailler, de jouer, d’apprendre, de gérer notre argent ou même de choisir nos assurances médicales.

Restrictions techniques. L’utilisation de mesures techniques pour limiter l’accès à l’Internet risque de saper les capacités des utilisateurs à exercer leurs droits fondamentaux et à tirer parti de l’Internet en tant qu’espace qui permet l’égalité des opportunités pour tous. Nous pensons que l’Internet doit être utilisé pour promouvoir les droits de l’Homme, pas pour les menacer.

Dialogue ouvert. Nous encourageons fortement un dialogue ouvert et inclusif sur les questions telles que la confidentialité en ligne, y compris dans le domaine de la sécurité nationale, et le besoin pour toutes les parties prenantes de respecter les normes et principes définis dans les accords internationaux et les droits fondamentaux.

Nous avons à plusieurs reprises demandé à la communauté globale de l’Internet d’être solidaire et de parler avec autorité en faveur de l’accès ouvert à l’Internet, de la liberté et de la confidentialité. Les questions de liberté sur l’Internet ne sont ni uniquement des questions de liberté, ni uniquement des questions d’Internet ; elles doivent être abordées par toutes les parties prenantes, y compris les gouvernements, le secteur privé, la société civile, et les ingénieurs de la communauté technique. L’Internet est un réseau de réseaux et nous avons tous une responsabilité collective pour son avenir.

Ressources supplémentaires

L’Internet Society a publié plusieurs articles et du contenu supplémentaire en rapport avec cette question. Ils sont librement accessibles sur le site Web de l’Internet Society.

> Les droits de l’Homme et les protocoles de l’Internet : comparaison des processus et des principes (2012), http://www.internetsociety.org/doc/human-rights-and-internet-protocols-comparing-processes-and-principles

> L’Internet et les droits de l’Homme : le défi des communautés renforcées (2012), http://www.internetsociety.org/doc/internet-and-human-rights-challenge-empowered-communities

> L’Internet ouvert : ce que c’est, et comment éviter de le prendre pour autre chose (2014), http://www.internetsociety.org/doc/open-internet-what-it-and-how-avoid-mistaking-it-something-elsee

> Soumission de l’ISOC sur le droit à la confidentialité dans le contexte de la surveillance nationale et extraterritoriale (2014), ttp://www.internetsociety.org/doc/ohchr-submission

> Soumission de l’ISOC au Rapporteur spécial de l’O.N.U. sur la protection et la promotion du droit de liberté d’expression et d’opinion à propos de l’usage du chiffrage et de l’anonymat dans les communications numériques (2015), http://www.internetsociety.org/doc/internet-society-submission-un-special-rapporteur-protection-and-promotion-right-freedom

Encourager la liberté en ligne : le rôle des intermédiaires de l’Internet, UNESCO/ISOC(2015), http://www.internetsociety.org/blog/public-policy/2015/01/role-internet-intermediaries-fostering-online-freedoms

Notes

[1] OpenStand Initiative, http://www.open-stand.org.

[2] Document sur la sécurité collaborative de l’Internet Society, http://www.internetsociety.org/collaborativesecurity.

[3] 2015 La liberté sur le Net, Freedom House, https://freedomhouse.org/report-types/freedom-net#.Ve852bQrk_p.

[4] Voir les commentaires de l’Internet Society sur le chiffrage-par-défaut, http://www.internetsociety.org/news/internet-societycommends-internet-architecture-board-recommendation-encryption-default

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